Le Veau d'Or est toujours debout!!
Grâce à un superbe blog http://www.bleuduciel.net qui distille de trés beaux textes courts et poétiques, empreints d'enfance, de mélancolie.....je trouve magnifique, j'ai pu découvrir un texte que j'ai lu .....Ouh il il y a bien longtemps maintenant!! Texte hélas toujours et encore plus d'actualités....il va falloir que l'être humain change!!!!
“Lorsque le goût des jouissances matérielles se développe chez un de
ces peuples plus rapidement que les lumières et que les habitudes de la
liberté, il vient un moment où les hommes sont emportés et comme hors
d’eux-mêmes, à la vue de ces biens nouveaux qu’ils sont prêts à saisir.
Préoccupés du seul soin de faire fortune, ils n’aperçoivent plus le
lien étroit qui unit la fortune particulière de chacun d’eux à la
prospérité de tous. Il n’est pas besoin d’arracher à de tels citoyens
les droits qu’ils possèdent ; ils les laissent volontiers échapper
eux-mêmes. L’exercice de leurs devoirs politiques leur paraît un
contretemps fâcheux qui les distrait de leur industrie. S’agit-il de
choisir leurs représentants, de prêter main-forte à l’autorité, de
traiter en commun la chose commune, le temps leur manque ; ils ne
sauraient dissiper ce temps si précieux en travaux inutiles. Ce sont là
jeux d’oisifs qui ne conviennent point à des hommes graves et occupés
des intérêts sérieux de la vie. Ces gens-là croient suivre la doctrine
de l’intérêt, mais ils ne s’en font qu’une idée grossière, et, pour
mieux veiller à ce qu’ils nomment leurs affaires, ils négligent la
principale qui est de rester maîtres d’eux-mêmes.
Les citoyens qui travaillent ne voulant pas songer à la chose publique,
et la classe qui pourrait se charger de ce soin pour remplir ses
loisirs n’existant plus, la place du gouvernement est comme vide.
Si, à ce moment critique, un ambitieux habile vient à s’emparer du
pouvoir, il trouve que la voie à toutes les usurpations est ouverte.
Qu’il veille quelque temps à ce que tous les intérêts matériels
prospèrent, on le tiendra aisément quitte du reste. Qu’il garantisse
surtout le bon ordre. Les hommes qui ont la passion des jouissances
matérielles découvrent d’ordinaire comment les agitations de la liberté
troublent le bien-être, avant que d’apercevoir comment la liberté sert
à se le procurer ; et, au moindre bruit des passions publiques qui
pénètrent au milieu des petites jouissances de leur vie privée, ils
s’éveillent et s’inquiètent ; pendant longtemps la peur de l’anarchie
les tient sans cesse en suspens et toujours prêts à se jeter hors de la
liberté au premier désordre.
Je conviendrai sans peine que la paix publique est un grand bien ; mais
je ne veux pas oublier cependant que c’est à travers le bon ordre que
tous les peuples sont arrivés à la tyrannie. Il ne s’ensuit pas
assurément que les peuples doivent mépriser la paix publique ; mais il
ne faut pas qu’elle leur suffise. Une nation qui ne demande à son
gouvernement que le maintien de l’ordre est déjà esclave au fond du
cœur ; elle est esclave de son bien-être, et l’homme qui doit
l’enchaîner peut paraître.”
Alexis de Tocqueville, De la démocratie en Amérique